who you are. (grace)

Fatigué, je rentrais chez moi après deux longues journées passées à l'hôpital de la ville. J'aimais mon métier, sincèrement, et je m'en foutais de m'y consacrer entièrement durant des jours. C'était ma vocation. Aussi étrange soit-elle. Il m'arrivait parfois que des femmes demandent à ce que je n'accepte pas à leur accouchement, je respectais toujours ces choix même s'ils m'agaçaient. Que pensaient-elles ? Que je n'étais pas capable de m'investir pleinement auprès d'elles sous prétexte que je ne possédais pas le bon sexe ? Bref, je pénétrais dans mon appartement, une pizza bien chaude dans les mains et je refermais délicatement la porte avec mon pied. Une veste traînait sur le sol, une chaise était déplacée, la lumière près de mon lit était allumé. Elle était là. J'en esquissais un petit sourire, je commençais à prendre l'habitude de la voir s'introduire dans mon quotidien. Cela ne me gênait pas, cela ne me gênait absolument pas. Je lui avais même laissé un double des clefs de mon appartement. Ne me prenez-pas pour un fou, j'avais beau ne rien savoir de sa personne, je lui faisais entièrement confiance et je ressentais l'immense besoin de la protéger de ces terreurs qui la tourmentaient. Soucieux de son état, je grimpais les marches menant à la mezzanine et me posait sur le rebord de mon lit. Je pris le temps de l'observer, quelques secondes qui me parurent des heures. Son regard s'ancra dans le mien, je comprenais qu'elle ne désirait toujours pas me livrer ses peines. J'ouvrais alors la boîte de cette pizza que j'avais reporté et la rapprochais de cette inconnue allongée auprès de moi. Manges, s'il te plaît lui demandais-je alors, sachant qu'elle allait probablement m'obéir. Elle n'était pas du genre à se laisser mourir de faim sous prétexte qu'elle ne méritait pas l'attention d'un inconnu. J'attrapais une part, croquais dedans et laissais tomber mon buste en arrière. Je déposais une main sur mon torse et laissais mon regard se perdre dans la contemplation du plafond. Tu as là depuis longtemps ? soufflais-je, me doutant cette fois-ci que cette question resterait sans réponse de sa part. C'était la quatrième fois qu'elle venait chez moi, dormait dans mon lit, se nourrissait de mes plats. C'était la quatrième fois qu'elle me surprenait et me chamboulait. Qui était-elle ?

Une dispute. Une énième dispute avait animé la maison de la famille Whittemore. Depuis l'arrivée de Niels dans la famille, plus rien n'allait. Les enfants enchaînaient disputes sur disputes depuis l'arrivée de ce jeune inconnu. Ils en veulent terriblement à leur père de leur avoir caché l'existence de Niels, leur demi-frère issu d'une liaison. Ils en voulaient à leur père d'avoir trahi leur famille, d'avoir brisé et fait volé en éclats tout ce qu'ils avaient construit durant des années, ensemble. Mais maintenant, tout était différent. Petit à petit, la famille se brisait. Les jumeaux de la famille Whittemore étaient sans nul doute les plus rancuniers et c'est ceux qui acceptaient le moins Niels contrairement à Grace. La famille est pour elle la plus grande des valeurs, et même si à cause de son père elle la voit d'une façon différente et moins unie. Cependant, malgré toute la pression qui pèse maintenant sur sa famille, Grace a décidé de faire autrement et ne pas rejeter la jeune homme. La cadette de la famille est sans contester la plus sociable et la plus ouverte. Elle sait que son choix ne plaît pas à tout le monde, mais elle s'en contre fiche. Niels, c'est son demi-frère. Il vient peut-être de nul part, mais il fait à présent partie de sa famille. Elle l'apprécie, se sent bien avec lui. Ils apprennent à se connaître avec envie, douceur et légèreté. Mais aujourd'hui, tout avait encore pété et Grace en a eu marre. Alors elle est partie, ne se sentant plus à sa place au sein de sa famille pour ce soir. Elle marcha dans les rues de Woodley Mills, s'arrêtant devant un bâtiment qui au départ n'avait aucune signification. Elle s'engouffra dans le bâtiment, sorti une clé de son sac et l'introduit dans la serrure. Grace ne regarda pas autour d'elle, elle se contenta d'aller prendre une bouteille d'eau gazeuse dans le frigo et de s'asseoir sur une chaise dans la cuisine avant de boire quelques gorgées. Elle soupira longuement et balança sa tête en arrière. Cet endroit lui faisait un bien fou. Quelques minutes après, elle monta sur la petite mezzanine où se trouvait un lit et une table de nuit. Elle s'allongea sur celui-ci et regarda le plafond, pensive. Pensive, jusqu'à ce qu'elle entendit la porte s'ouvrir. Elle ne dit rien et se contenta d'attendre. D'attendre qu'il vienne à ses côtés. Une odeur succulente lui chatouilla les narines et elle se redressa quand il lui ordonna de manger. Elle ne le remercia pas car entre eux, le silence était de mise, c'était comme ça qu'ils fonctionnaient. Grace mordit dans le morceau de pizza et ferma les yeux. Son ventre criait famine et ça lui faisait un bien fou de manger quelque chose de gras. Elle se recoucha. Camille fit de même. Ils restèrent là à regarder le plafond et le silence s'installa et ce, jusqu'à ce qu'il lui demanda depuis combien de temps elle était là. Elle souleva les épaules et resta silencieuse. Grace ferma les yeux, attrapa une autre part de pizza et la mangea couchée. Quelques minutes. Dit-elle dans un soupire. Ou quelques heures. J'en sais rien. Je suis là, c'est tout. Elle fixa à nouveau le plafond. Ils ne se connaissaient pas et pourtant, elle entrait dans sa vie sans crier gare et venait tout chambouler. Ce n'était pas dans ses habitudes de faire ce genre de choses mais pourtant, elle le faisait parce que c'était devenu comme un besoin pour elle de s'immiscer dans la vie des gens, de découvrir et de rencontrer de nouvelles personnes. Elle avait chamboulé la vie de ce jeune homme, mais ne le regrettait pas car sans qu'il le sache, il avait aussi chamboulé la sienne.

Cette jeune femme, cette inconnue qui venait surprendre mon quotidien. Jamais je n'avais accueilli et porté une personne dans mon coeur sans ne rien savoir d'elle. C'était surprenant de constater à quel point je pouvais lui accorder de l'importance. En soi, elle n'était rien. En soi, elle ne m'apportait rien. Exceptée de surprenantes discutes muettes basées sur la profondeur des regards, remplis d'émotions en tout genre. Elle dégageait énormément d'émotions et me perturbait clairement davantage à chaque nouvelle rencontre. Et aujourd'hui, elle était là et mangeait sa part de pizza sans râler, sans dire quoi que ce soit. Je lui demandais alors depuis combien de temps elle était là, soucieux et intéressé. Quelques minutes m'avoua-t-elle dans un soupire. Ou quelques heures. J'en sais rien. Je suis là, c'est tout. Sèche, directe, mais sincère. Je déposais ma main sur mon torse et continuait de manger ma part. D'accord, elle était là, c'est tout. Comme toujours, je ne lui demandais pas pourquoi ; même si pour la première fois, cette question était sur le bout de ma langue. Je continuais de manger pour m'empêcher d'ouvrir ma bouche, je m'en empêchais parce que je ne voulais pas la faire fuir. Comme-ci j'avais réussi à l'apprivoiser depuis sa première venue au sein de mon appartement. Une fois ma part terminée, je me laissais glisser sur le côté, afin de pouvoir l'observer. J'ancrais mon regard sur son corps, à la découverte de ses traits qui faisaient d'elle une personne unique. Le temps passait, les minutes nous échappaient. Tu n'as pas peur ? lui demandais-je alors, enfin. Peur de quoi ? D'être d'ici, avec moi. Elle ne me connaissait pas. Je pourrais être un putain d'connard, vicieux, pervers. Quoi que, c'était complètement stupide de ma part de lui avoir posé cette question. Si j'avais souhaité l'attaquer, en abuser, je n'aurais pas laissé autant de temps se passer. J'ébouriffais mes cheveux et me redressais, afin de me rasseoir de nouveau sur le bord du lit. Je caressais mon visage, frottais mes yeux et détournais mon regard de sa personne. Tu restes dormir ici ? Putain, j'étais en train d'abuser, je posais trop de questions. Ce n'était pas normal, pas habituel. Je commençais à être trop curieux envers lui, je commençais tout simplement à m'attacher à sa présence dans mon quotidien. C'était malsain, et une vilaine idée. Où ça pouvait bien me mener de tenter de creuser sa personne ? Nul part. Elle n'en avait clairement pas envie, c'était compréhensible. Je lui avais offert mon silence, je devais continuer sinon elle allait m'échapper.

Elle était là, chez cet inconnu. Ils ne se connaissaient pas, ne s'était jamais croisé auparavant et pourtant, elle se retrouvait étendue sur son lit. Un one night ? Loin de là. Elle ne saurait qualifier ce qu'il se passait avec cet homme mystérieux et si elle racontait son aventure à ses amies, elles la prendront sans nul doute pour une folle dingue. Elle ne connaissait ni son prénom, ni son âge. Rien. Un parfait inconnu chez qui elle avait trouvé refuge un beau soir alors qu'en sortant d'un bar, un homme avait failli l'étrangler et plus encore. Elle avait couru. Elle avait pris la fuite et s'était retrouvée à une heure tardive devant sa porte, le mascara coulant sur son visage angélique, ses cheveux ébouriffés et mouillés par la pluie qui humidifiait la ville ce soir là. Sans un mot, elle était rentrée, avait pris possession de son lit et s'était littéralement endormie. Depuis, se réfugier chez lui à tout moment était devenu une habitude. Il lui avait même fait un double, comme ça la belle pouvait venir dés qu'elle le désirait, qu'il soit là ou pas. Une confiance aveugle s'était installée. Et a chaque fois qu'ils se retrouvaient dans la même pièce, le silence. Aucun mot. Ou alors que très peu. Des heures, ils passaient des heures l'un à côté de l'autre, à faire des choses de la vie quotidienne. Jamais il ne lui avait demandé son nom, jamais elle n'avait demandé le sien. Jamais non plus il lui avait demandé pourquoi elle faisait ça, pourquoi elle s'introduisait dans sa vie, une vie auparavant paisible. Elle était venue tout chambouler sans crier gare. Si elle avait peur, bien sûr que non. Cette question était stupide. Elle prit, sans le savoir, le dernier morceau de pizza. Une fois sa partie terminée, elle remonta la coussin et s'appuya contre celui-ci et le mur. Peur ? De quoi ? De toi ? Sans trop savoir pourquoi, un léger rire cristallin et quelque peu mal à l'aise s'échappa de sa bouche. Tu ne ferais pas de mal à une mouche ou du moins, tu ne me ferais pas de mal. Sinon je pense bien que tu l'aurais fait depuis le premier jour. Elle s'arrêta de parler. Jamais elle ne lui avait adressé une phrase aussi longue. Ça l'a fit sourire. D'un geste presque invisible, elle remit une mèche de cheveux derrière son oreille, mais sa chevelure récemment coupée ne lui permettait pas d'arranger ses cheveux comme elle le souhaitait. Alors elle abandonna. Si elle restait dormir ici ? Elle n'en savait fichtrement rien. Cette question l'a mis cependant mal à l'aise car elle se rendait compte qu'elle s'était introduite dans la vie d'un homme sans même lui demander son avis. Mais contre toute attente, il avait accepté. Grace haussa les épaules. J'en sais rien. Oui, elle se rendait compte que ce qu'elle lui avait fait n'était guère dans ses habitudes, mais malgré tout, elle l'avait fait. Ça te poserait un problème si je disais oui ? Question stupide. Jamais il ne lui avait demandé et ça l'a déstabilisa. Si elle avait envie de dormir chez lui, elle le ferait sans même lui demander son avis. Mais aujourd'hui, elle avait le pressentiment que ça allait être différent. Et ça, ça lui faisait peur.

Peur ? De quoi ? De toi ? Elle rigola, je fermais mes yeux ; elle confirmait l'idiotie de ma question. Mais pourquoi l'avais-je posé, pourquoi ? Je passais pour un con, un gros con. Et étrangement, ça me dérangeait. Je me savais parfois débile - comme tous le monde, à un moment ou un autre - mais je n'avais pas envie de l'être auprès d'elle. Tu ne ferais pas de mal à une mouche ou du moins, tu ne me ferais pas de mal. Sinon je pense bien que tu l'aurais fait depuis le premier jour. Elle le savait, elle me connaissait. Comment pouvait-elle autant en savoir sur moi, alors que notre relation était basée sur le silence, comment ? Je me pinçais délicatement la lèvre et continuait de fixer le mur me faisant face. J'aurais mieux fait de me taire. Mais au lieu de ça, je continuais, je continuais de la questionner en lui demandant si elle comptait rester dormir ici. Question qui était une fois de plus sans intérêt étant donné que je m'en foutais de sa réponse, elle pouvait rester, la clef qu'elle possédait de mon appartement en était la preuve. Il n'y avait risque, aucune raison qui pourrais me pousser à la faire fuir. Au contraire. Je ne risquais rien. Personne ne viendrait chez moi, personne ne viendrait perturber me quotidien. C'était bien la seule à venir s'immiscer ainsi dans ma vie. J'en sais rien. Ça te poserait un problème si je disais oui ? me demanda-t-elle. Nous nous posions tous les deux des questions terriblement stupides. Elles ne servaient à rien, si ce n'est à partager une discutions sans intérêt, juste pour parler. Je frottais mes cuisses et reposais mon regard sur le sien. Pourquoi ça me gênerais ? lui répondis-je avant de me lever, bien décidé à aller prendre une douche qui allait me permettre de me vider l'esprit. Ta présence me fait du bien. Et bim, je n'aurais pas dû lui dire ça, je n'aurais pas dû parce que j'allais la faire fuir. Mais c'était sorti tout seul. Naturellement. Spontanément. Inconsciemment. Je la regardais, gêné, perturbé. J'avais terriblement peur de sa réaction et sentir sur son regard que c'était fini, que tout était terminé et qu'elle allait partir pour ne plus revenir. Et pourtant, j'étais réellement content de sa présence, elle me plaisait, pimentait mes journées. Excuses-moi lâchais-je dans un souffle, je ne pouvais pas me permettre de lui faire ce type d'aveu. Je ne connaissais même pas son prénom. Putain de crétin. J'étais en train de démolir toute une relation, pourtant si particulière, en trois questions.