papa don't preach (morris)

- Annule mes rendez-vous pour le reste de la journée. Pas un merci, ni un s’il te plait. Je n’ai pas l’habitude de mettre les formes lorsque je donne des ordres. Après tout, c’est son boulot d’être mon assistante. Assis derrière mon imposant bureau en bois laqué, je prends instinctivement mon pouls, deux doigts collé à mon cou. C’est un tic que je conserve depuis de nombreuses années, je ne saurais pas dire quand il est apparu avec certitude. Je pense qu’attendre mon cœur me calme tout simplement. Je me remets rapidement dans la paperasse qui me fait franchement chié. Le boulot d’Anesthésiste est confortable, mais tout ce qui ne concerne pas l’opération en elle-même est plus que gavant. Je suppose que c’est du à ma responsabilité importante dans le déroulement d’une opération. Rien à voir avec les caricatures que j’entends à droite et à gauche dans l’hôpital. Comme les blagues concernant le fait de faire des mots croisés tandis que les chirurgiens sauvent des vies. Ça a bien le don de m’énerver. Me souvenir de mes jeunes années et mes ambitions à être chirurgien me fait presque rire jaune aujourd’hui. Mon regard se brouille sur les lignes interminables de mes dossiers de patients. Je ferme les yeux quelques secondes, me reposant un peu en arrière sur mon siège. Plus le temps passe et plus je constate que ma vision se détériore. Je ne veux pas porter de lunettes, c’est pour les vieux. D’accord, j’ai quarante-quatre ans, bientôt quarante-cinq, mais je n’ai pas le corps d’un vieux. Je suis un homme, et puis c’est tout.

(…) J’entends la porte de mon bureau s’ouvrir et je me redresse dans un soupir, près à déverser tout mon agacement sur cette assistance incompétente. – C’est moi. Ton apparition me décontenance. Grande et élancée, aussi blonde que ta mère est brune. Toi, ma fille. Toi qui possède mon adn, mes pommettes hautes et mon ambition sans nom. Toi que je connais si mal. J’hésite entre me lever et rester assis. Nous avons toujours du mal lors de nos retrouvailles. C’est de ma faute, et j’en suis conscient. Je t’ai si souvent rejeté lorsque tu n’étais encore qu’une petite fille. Tu m’arrêtes dans mes questionnements en avançant en direction de mon bureau. – Je t’ai ramené une bouteille de rouge de Paris. Paris, mais oui. Je serre les dents comprenant que j’ai encore une fois oubliée ton retour. Tu me l’as pourtant bien dit, deux semaines plus tôt. Je pense a mon assistante qui aurait du me le rappeler. – Si tu veux tout savoir, c’était bien Paris. Tu es toujours debout, mon bureau nous séparant, je me lève finalement, balbutiant. – Mais bien sur que je veux tout savoir. Le ton sonne faux, tu es bien la seule à savoir me déstabiliser –enfin avec ta mère- Je m’approche maladroitement et te serres brièvement contre moi. – Et toi de ton côté ? Je ne sais pas trop quoi te répondre, je me contente de relâcher la pression contre toi et de prendre la bouteille de rouge entre mes doigts, comme pour meubler ce manque d’intimité entre nous.– Tu m’as manqué. Les mots me touchent, mais me mettent mal à l’aise. Encore une fois, tu fais un pas vers moi, mais la distance me semble tellement lointaine. – Assied toi, je t’en pris. Je sais à la seconde ou les mots quittent ma bouche que ce n’est pas ce que tu voulais entendre, mais c’est bien trop tard. Je m’appuis contre le bureau en te laissant t’installer sur la chaise attribué à mes patients préopératoire. – Oh tu sais, ici rien de trop nouveau, les patients, la paperasse. Rien à voir avec l’Europe ! Je tente un sourire. – Merci pour cette bouteille, je n’en avais pas dans ma collection. Tu es bien au courant de mon amour pour le vin, et moi de mon côté je sais à peine quoi t’offrir pour ton prochain anniversaire. – Raconte moi.